Paule Lebrun est née à Québec, le 21 octobre 1945. Elle était encore dans le ventre de maman quand la 2ème guerre mondiale a pris fin. Elle qui n’aimait pas les conflits, peut-être a-t-elle souri à ce moment, de ce premier sourire qui allait par la suite irradier son visage tout au long de sa vie. Paule souriait en haut de la montagne comme au fond du fond du trou. Elle était dotée d’une étonnante résilience, qui la faisait rebondir toute pimpante après les pires descentes aux enfers. Que de fous-rires nous avons eu lorsque nous échangions sur nos malheurs respectifs ! Ces fous-rires, cette capacité qu’elle avait de s’extirper momentanément de ses émotions pour les regarder d’en haut, avec détachement, humour et compassion, fut l’un des précieux cadeaux qu’elle m’a laissés.

Paule était la fille de Guy Lebrun et d’Andrée Legendre. Elle fut l’ainée d’une famille de 4 enfants. Après elle, il y a eu mon frère Denis et ma sœur Marie. Je suis arrivée dix ans après celle-ci. Paule avait alors 15 ans.

Je ne l’ai pas connue les premières années de sa vie mais j’ai entendu dire, entre les branches familiales, qu’elle fut dans sa jeunesse une jeune fille sérieuse et une ainée responsable. Vers l’âge de 8 ans, elle avait entre autres pris en mains son petit frère à l’énergie colérique et curieuse (du genre à casser toute les vitre de l’appartement familial ou à découper le tissu du divan du salon pour voir comment c’est fait dedans), elle l’avait donc pris en mains en l’intégrant aux jeux et rituels (tiens tiens !) qu’elle organisait dans la cour avec les enfants du voisinage. Elle suivit son cours classique aux Ursulines grâce à un oncle fortuné et sans enfant qui croyait en son potentiel. Elle fut également cheftaine chez les guides, premiers germes possibles de son amour futur pour la nature et de son sens du leadership. Elle fit donc peu de vagues dans sa prime jeunesse. C’est après que ça s’est gâté …

Pour l’un de ses premiers boulots, Paule se retrouva dans un village de la basse Côte Nord, séparé par une frontière invisible : d’un côté les blancs, de l’autre, les montagnais. Selon mon frère qui était sur place, Paule espérait réconcilier les deux peuples et avait fait venir un orchestre amérindien dans une fête de blancs. La moitié des blancs étaient alors sortis de la salle. Cette année là, il y eu tout de même la première union d’un amérindien avec une blanche. La graine était plantée. Rassembleuse, vous dites ?

Paule a toujours été une tête chercheuse, une exploratrice curieuse qui ne prenait rien pour acquis. Boulimique de mots, elle lisait tout le temps, n’entrait jamais dans un dépanneur sans en ressortir avec une ou deux revues et était passée maître dans l’art du lèche-vitrine de librairie. Sans livre sous la main, elle pouvait même à lire l’endos des boîtes de céréales ! Lorsqu’elle a eu son diagnostic de cancer, la guerrière en elle a tout lu sur le sujet, devenant une véritable spécialiste des traitements et produits alternatifs qui pourraient l’aider à s’en tirer. Chez elle, des murs de livres témoignent encore de cette passion pour la lecture.

Cette curiosité combinée à une quête perpétuelle de sens l’a très tôt déposée sur le chemin du journalisme. Un journalisme iconoclaste et de gauche, qui remettait en question l’ordre établi. Elle fut l’une des 1è messagères de la vague féministe dans les années 70. À l’époque, je me souviens qu’elle avait écrit un article pour Mainmise ou Châtelaine où ma sœur Marie posait les seins nus avec un plan de pot dans les mains. C’était audacieux pour l’époque! Pour nourrir ses reportages, elle a rencontré plusieurs grands penseurs de la contre-culture américaine (Joseph Campbell, Jean Houston, etc.) qui ont éclairé son parcours de vie et nourri les enseignement qu’elle allait plus tard, partager avec ceux et celles qui croiseraient sa route.

Paule fut également rédactrice en chef de plusieurs magazines alternatifs qui ont marqué leur époque: Mainmise, Le Guide Ressource, Réseau.

Elle a écrit deux livres et si le temps l’avait permis, elle en aurait écrit d’autres. Elle avait la plume envoûtante, percutante et fertile ! À l’époque où je travaillais pour Ho, quand je peinais sur un texte, je n’avais qu’à lui téléphoner et elle m’envoyait dans la minute un petit chef d’œuvre de mots.

Bien qu’elle ait eu quelques ancrages ici et là, à Racine, à St-Adèle ou à Sedona, Paule était une femme de voyages. Des voyages d’exploration à la fois extérieurs et intérieurs, en avion ou, dans sa jeunesse, à dos de ces substances psychédéliques qui venaient nourrir sa recherche d’une conscience élargie. Pour elle, la vie ne pouvait se limiter à ce qu’on peut voir avec nos yeux. Il y avait assurément quelque-chose de plus grand… quelque part en nous.

Puis, il y eu LE voyage.

Je me souviens encore de cet après-midi d’été où j’attendais avec fébrilité ma grande sœur chérie qui revenait d’un de ses périples à l’autre bout du monde. Ce jour là, Paule était débarquée de sa van, revêtue de rouge, avec un drôle de collier de bois dans le cou au bout duquel pendait un médaillon avec le visage d’un homme poilu comme le voulait l’époque. Elle revenait des Indes où elle avait rencontré Osho, son maître, ce mystérieux personnage qui avait transformé sa vie. Il y eu, comme elle le disait si bien, un avant et un après Osho. Paule en parlait avec fougue et passion. Ce voyage a orienté suite de sa vie.

Paule était une visionnaire qui savait donner corps à ses visions.

À son retour des Indes elle a fondé un organisme dont le nom évoquait la mission. Le Zorbou : habile mélange de Zorba le grec, dansant, passionné, amateur de bonne et belle chair et de Bouddha, immobile, silencieux, détaché. Un centre de créativité et d’éveil qui regroupait différents intervenants offrant des ateliers inusités en occident : rebirth, vipassana, sexualité consciente, Qui suis-je, Art thérapie, bains flottants. Un calendrier audacieux et garni à souhait. En le parcourant, il y a quelques jours, j’ai bien vu qu’il y avait là le germe de cet autre organisme qu’elle allait fonder quelques années plus tard avec son chéri : HO rites de passage. L’entreprise de sa vie. Celle pour laquelle elle s’est investie jusqu’à la dernière minute dans l’espoir qu’elle lui survive. Gageons qu’elle a réussi !

***

Paule est née sous le signe de la balance. Celui du doute perpétuel. Une absence de certitude qu’elle tentait d’amenuiser en consultant l’un et l’autre afin de s’assurer qu’elle prenait bien les bonnes décisions.

Elle est née sous le signe de la balance, un signe d’air qui, toute sa vie, a soufflé sur son feu intérieur. Et quel feu ! Paule n’aimait pas les choses, les idées ou les gens : elle se passionnait pour eux ! Elle savait transmettre l’émerveillement qui l’habitait. Il fallait la voir donner ses conférences, à grand renfort de bras et de mains en l’air, complètement contagieuse. Il fallait l’entendre vous dire comment vous aviez du talent pour ceci ou cela. Ce n’était pas de la complaisance ! Elle détenait simplement ce don de voir l’étincelle qui brille dans chaque personne. Avec elle, on se sentait quelqu’un. Validés. Plus grands, plus forts. Parfois même magnifiés.

Lorsqu’elle me disait que son seul regret était de ne pas avoir eu d’enfants, je la ramenais toujours à tous ces gens pour qui elle avait fait une différence. Entre autres mes trois enfants, Laurence, Érica et Rafael, qui étaient très proches d’elle et dont elle fut ni plus ni moins la mère spirituelle. Paule était une sage-femme qui détenait l’art de mettre au monde.

Signe d’air, Paule était aussi très peu préoccupée des choses matérielles. Inutile d’attendre d’elle qu’elle prépare de bons petits plats. C’était autrement qu’elle nous nourrissait. Avec son écoute généreuse, ses histoires incroyables, ces nombreux cadeaux qu’elle avait soigneusement choisis pour nous et une capacité d’aimer hors du commun. Avec aussi parfois un bon repas dans un resto chic. Elle n’était pas regardante sur l’argent qui sortait de ses poches, ma grande sœur !

Côté pratico pratique, elle gérait un fouillis organisé. Elle s’y retrouvait la plupart du temps… ou plutôt de temps en temps. Comme d’autres perdent la tête ou leurs cheveux, Paule perdait ses clefs, sa carte de crédit, son porte-feuille, ce qui créait de magnifiques péripéties, juste dans le « peak » de l’histoire du jour, avant ce rendez-vous important ou cet événement essentiel. Mais toujours, toujours, l’héroïne franchissait ces obstacles banals dans la poursuite de sa quête…

Avec ce côté aérien, pas étonnant qu’elle ait choisi un homme de terre pour partager les 30 dernières années de sa vie. Son Gordon rencontré à Omega Institute. Son cowboy. Celui avec qui elle a si souvent dormi dans une van au milieu de nulle-part. My love, qu’elle le surnommait. Bien sûr, avant lui, il y a eu Clermont, Jacques, Jocelyn, Michel, Maurice, Jean-Pierre, Jean-Guy et j’en passe… mais rien de comparable avec le lien qui unissait ces deux là. Malgré les défis de langue et de distance ainsi que les tsunamis qu’ils ont eu à traverser, ces deux pôles opposés étaient branchés. Mystérieusement branchés. Branchés jusqu’à la fin.

***

Paule, ton départ me semble irréel. Il y aurait tant à dire sur toi. 10 minutes n’est pas assez ! Il faudrait écrire un livre ! Quelques souvenirs me reviennent encore, petites gouttes de larmes arrosant ma joie d’avoir été ta petite sœur chérie et d’avoir pu être là au dernier moment. Je te revois ou t’imagine…

Toi et tes multiples chapeaux
Toi et tes éternels déjeuners dans un café
Toi que je vais porter à l’aéroport avec tes grosses valises
Toi que je vais chercher à l’aéroport, avec tes grosses valises
Toi qui t’extasie devant un bon repas préparé par mon chéri, fier comme un paon
Toi qui a éclairé ma route, celle de ma famille et de tous ceux qui t’ont côtoyée.
Toi qui a si bien su mourir, avec étonnement et détachement.

Chère Paule, tu as enfin rencontré ce mystère auquel tu as consacré ta vie.
Tu fais actuellement corps avec lui.
Profite bien de ce repos mérité.

Je t’aime, on t’aime tous. Bon voyage et à bientôt !

Claude Lebrun
17 novembre 2017